Cet article a été rédigé par l’AFKP dans le cadre du Numéro 27 du « Kinescope » (en téléchargement ci-dessous), intitulé « Kinésithérapie, Kinésithérapeutes salariés : quel(s) cap(s) ? Quelle(s) voie(s) ? Quel(s) horizon(s) ?. Ce magazine est édité par le Collège National de la Kinésithérapie Salariée (CNKS).
L’AFKP remercie chaleureusement le CNKS pour cette opportunité et cette collaboration.
Introduction
Si les prises en soins des nouveau-nés, nourrissons, enfants et/ou adolescents en kinésithérapie, ont toujours été assurées comme une évidence par les thérapeutes, il n’est pourtant pas si simple de définir le cadre de ce champ d’activités cliniques tant il est large et protéiforme. La question de l’identité du kinésithérapeute exerçant exclusivement sur cette population, mets en lumière un grand nombre de questions auxquelles notre profession doit faire face pour formaliser et organiser cette branche spécifique de la kinésithérapie. Que ce soit pour répondre à l’ensemble des défis de la qualité des soins, pour satisfaire les attentes des parents, pour participer à la dynamique de l’amélioration de la santé de nos futures générations ou pour engager les instances de la santé et/ou de notre profession dans la réflexion nécessaire du soin en kinésithérapie pédiatrique, l’Association Française de Kinésithérapie Pédiatrique (AFKP) s’est donnée pour mission de se saisir de l’ensemble de ces sujets.
A travers cet article, nous souhaitons engager ces réflexions et prendre part aux débats suscités par les « Assises de la pédiatrie » ? pour tenter de préciser ou de définir les contours de cette pratique spécifique, de fédérer et de valoriser l’ensemble des professionnels investis pleinement dans ces parcours professionnels si exigeants et enfin, promouvoir et développer cette pratique spécifique auprès des jeunes diplômés de notre profession pour en susciter de nouvelles vocations.
Cheminement des professions de santé et évolution sociétale vers une politique de santé publique interministérielle de la pédiatrie
Les évolutions sociétales de l’émancipation de la femme et les progrès de la science en termes d’hygiène et de vaccination, ont permis de structurer cette spécialité médicale et, avec elle, les professions de santé qui s’y rattachent. Alors que la profession de sages femmes se structure dès la fin du 18ème siècle pour assurer de meilleures conditions de survie aux femmes et à leurs enfants à naitre, l’enseignement de la pédiatrie est officialisé en faculté de médecine à la fin du 19éme siècle.
Il est intéressant de noter que si le Diplôme d’Etat de Masseur-Kinésithérapeute est créé en 1946 au sortir de la seconde guerre mondiale, c’est à cette même date et sous l’impulsion d’une volonté politique de reprise de la natalité, que les infirmières organisent leur première spécialité en la qualité d’infirmière puéricultrice.
Les médecins pédiatres, à cette même période, développent en France la recherche dans les différents champs de la clinique somatique et psychique à chaque période de l’enfance et de l’adolescence. Ils adaptent les spécialités adultes aux particularités de l’enfant. La chirurgie affine ses pratiques, techniques et outils pour également définir ses branches en pédiatrie.
La pédiatrie « sociale » fonde alors, les prémices des actions de santé publique.
L’organisation des soins se structure par des lieux de soins dédiés (PMI, hôpitaux pédiatriques, Centre d’Action Médicosociale, Institut spécialisés … ), la protection de l’enfance voit le jour par la création des centres de Protection Maternelle et Infantile (PMI), le suivi du développement de l’enfant et de sa vaccination sont consignés dans un carnet de santé et, enfin, la médecine scolaire s’assure, dans la continuité, de la bonne santé de tous les enfants en âge scolaire.
De nos jours, malgré les progrès technologiques et scientifiques, les efforts menés par les dernières politiques de santé interministérielles, le soutien des professionnels exerçant en établissements de santé (Maternité, CHU pédiatrique, HAD pédiatrique, CAMSP, Instituts Spécialisés, SESSAD, SSR … ), l’organisation des soins en pédiatrie semble souffrir d’une crise croissante imposant de repenser la place de chacun dans les parcours de santé de l’enfant.
C’est à la lecture du dernier rapport de l’IGAS sur ce sujet que nous nous sommes questionnés sur la place de la kinésithérapie en pédiatrie. Où sont les kinésithérapeutes ? Que font-ils au sein des maternités, des hôpitaux pédiatriques, dans les établissements médicosociaux, des soins de suites et de réadaptation, ou en cabinet libéral. .. Quelles sont leurs activités ? Leurs difficultés ? leurs projets innovants ?
Comment définir et promouvoir cette spécificité d’exercice essentielle auprès des enfants sur le terrain et si peu soutenue par les instances en dehors d’un certificat reconnu et délivré par le conseil national de l’ordre des MK à la suite d’un parcours de formation ciblé ?
Les champs d’activité clinique de la kinésithérapie pédiatrique
Ces champs d’activités sont identiques à ceux qui s’appliquent aux populations adultes, inscrits dans notre décret relatif aux actes et à l’exercice de la profession dit « décret de compétences » et décrit dans notre référentiel en formation initiale.
La différence essentielle réside dans la nécessité d’adapter chaque champ clinique à chaque période de développement allant de O à 18 ans pour réduire les conséquences potentielles de l’évènement de santé, du trouble et/ou de la pathologie sur le développement de ces personnes en devenir en tenant compte des particularités de ses déterminants de santé.
Pour dresser un tableau des particularités de l’enfant entrant en jeu dans la relation thérapeutique, nous pouvons décrire très succinctement ces dernières :
- somatiques : le corps de l’enfant va connaitre de profonds changements. Ses systèmes, structures et sa physiologie vont maturer et croitre au fil du temps pour arriver à des constantes de fonctionnement proche de l’adulte en fin d’adolescence. Ainsi les kinésithérapeutes en pédiatrie prennent en compte ces immaturités dans la construction de leurs actions thérapeutiques
- psychiques et cognitives : la personnalité de l’enfant va se construire à partir de la maturation somatique mais également en fonction de ses aptitudes sociales et cognitives. Son immaturité affective et cognitive peut majorer son anxiété face aux changements ou aux évènements traumatiques vécus. Ainsi l’approche motivationnelle dans sa relation de soin avec le kinésithérapeute varie grandement de l’approche motivationnelle chez l’adulte. La communication, le langage et la compréhension vont s’affiner au fil des années. Les conseils et explications des thérapeutes s’adaptent à ces contraintes. La gestion et l’expression de sa douleur, de ses émotions sont également très variable en fonction de son âge. Le jeu reste un excellent moyen d’engager le jeune enfant dans une relation de soins et de confiance. Les outils de communication peuvent être très visuels, ou gestuels. Le consentement de l’enfant aux soins n’est donc pas toujours acquis et éclairé, mais souvent à rechercher et motiver à chaque séance. Les adolescents quant à eux sont enclin à des problématiques d’indépendance, de confiance ou de toute puissance, les contraintes liées à des soins sont souvent rejetées à cette période de la vie. Les thérapeutes doivent maintenir l’adolescent dans son parcours de soin et cela nécessite également des savoirs être spécifiques ;
- environnementales : les parents, tuteurs légaux de l’enfant, la famille font partie intégrante du soin. Cette relation tripartite entre thérapeute, enfant et parents, est plus complexe que la relation duelle commune existante entre un thérapeute et son patient adulte. Les intérêts des 3 partis doivent converger et cela nécessite souvent une pédagogie aiguisée du thérapeute ;
- • sociales : l’enfant connait un environnement social obligatoire à partir de l’âge de 3 ans (âge légal d’entrée à l’école maternelle). Les journées et activités sont rythmées par les temps scolaires à minima. Il peut également pratiquer des activités sportives ou de loisirs. Les soins doivent également s’adapter à cette activité sociale nécessaire à son bon développement. Les thérapeutes peuvent également intervenir ou être sollicités par les adultes qui entourent l’enfant dans ces lieux d’activité. La notion d’éducation thérapeutique prend tout sens en pédiatrie ;
- des parcours de soin : la coordination des soins entre les différents thérapeutes autour de l’enfant est essentielle. Elle permet d’adapter les thérapeutiques dans le parcours et d’accompagner l’enfant vers les évolutions inhérentes à sa propre croissance, maturité. Les prises en soins des enfants sont souvent pluridisciplinaires, elles mobilisent parfois plusieurs équipes et engagent les thérapeutes à une communication interprofessionnelle régulière et structurée.
Continuum santé de l’enfant
Les kinésithérapeutes, acteurs de santé publique, peuvent intervenir sur l’ensemble du continuum santé de l’enfant en participant à des actions de promotion de la santé, en développant des activités de prévention générale ou ciblée, en mettant en œuvre des actionséducations thérapeutiques eU ou d’accompagnement.
Les kinésithérapeutes exerçants en pédiatrie s’investissent dans ces nouvelles activités en particulier sur les activités de prévention primaire et ciblée. La réduction de la perte de chance par le repérage et le dépistage des anomalies fonctionnelles de développement, est au cœur de l’activité du kinésithérapeute en pédiatrie. Mais la perte de chance peut également s’exercer lorsque le professionnel n’est pas formé à la pratique spécifique en pédiatrie.
Les difficultés observées par les thérapeutes restent l’inadéquation de la nomenclature des actes répertoriés par rapport aux activités de terrain afin de répondre à l’ensemble des besoins et aux différentes évolutions de la CIM 11 pour répertorier au mieux l’ensemble des troubles, anomalies et pathologies.
Les zonages de l’activité libérale fixent également les activités professionnelles des zones surdotées. Si l’activité pédiatrique n’est pas déjà développée au sein des zones, il semble impossible de la développer sauf à ce qu’un professionnel se décide de réorienter sa pratique vers cette spécificité.
Organisation des soins en kinésithérapie
Les kinésithérapeutes officient dans l’ensemble des établissements de soins sanitaires, médicosociaux ou en ville.
Les soins de l’enfant sont historiquement concentrés dans les établissements de soins sanitaires et médicosociaux. Ces établissements ont la charge d’assurer le suivi vers les soins de ville lorsque la situation le nécessite. Les kinésithérapeutes exerçants dans ces structures ont développé des compétences spécifiques en lien avec les activités de leur service ou de leur établissement médicosocial.
Communément les professionnels en ville assurent les soins de premières lignes ou les soins de suites. Les prises en soins plus complexes nécessitent une étroite collaboration en soutien d’équipe sanitaire et/ou Medico sociale.
Une des particularités de l’enfant, c’est sa fréquente intolérance à vivre des séjours hospitaliers prolongés. A l’instar des populations fragiles gériatriques, les enfants peuvent développer des troubles du comportement ou des troubles anxio-dépressifs importants lorsqu’ils sont coupés de leur proches et/ou extrais de leur environnement familier et social.
Malgré les efforts faits ces dernières années pour adapter les locaux, les appareillages en établissements, et la communication dans les thérapeutiques, il reste difficile de maintenir les enfants sur des moyens et longs séjours. Les cures ambulatoires proposées par les équipes pluridisciplinaires des CAMSP ou SESSAD, restent un bon compromis à ce jour pour maintenir l’enfant dans son environnement familier tout en lui donnant accès à des soins prodigués par des équipes formées à l’ensemble des difficultés ou pathologies.
C’est ce modèle qui aujourd’hui, se développe en activité libérale. Les professionnels de santé se regroupent en pluridisciplinarité pour former des centres de santé pédiatriques en ville. Des conventions sont régulièrement passées avec les professionnels libéraux, les secteurs coopèrent pour pallier au manque d’attractivité salariale des secteurs sanitaire et médicosocial.
Les services d’Hospitalisation à Domicile (HAD) et Soins de Suites et Réadaptation (SSR) pédiatriques peinent à se développer. Bien qu’ils représentent une offre intéressante, sous le coup de reformes organisationnelles et tarifaires constantes, ils restent peu nombreux sur le territoire national.
Face à cette nécessité de partages interprofessionnels autour de l’enfant, les kinésithérapeutes dans les territoires se regroupent autour de la pédiatrie. En kinésithérapie, nous avons répertorié 23 associations locales. Celles-ci ont des antériorités et des activités hétérogènes mais elles conservent toutes la même intention de partage et d’échanges autour des pratiques cliniques, des recommandations de bonnes pratiques, des évolutions des organisations de parcours et pratiques innovantes. On peut observer une réelle dynamique pour ces créations associatives depuis ces 5 dernières années et une appétence encourageante des jeunes diplômés à s’engager dans cette pratique.
Avec l’appui des travaux de la Haute Autorité de la Santé (HAS), sur les parcours diagnostiques des enfants à risques de troubles de neurodéveloppement (TND) et troubles du spectre de l’autisme (TSA), sur la prévention des déformations crâniennes positionnelles (DCP), sur l’élaboration de guide des maladies chroniques de l’enfant, sur les prises en charge des parcours des enfants porteurs d’épilepsie etc … c’est une source d’informations précieuses pour suivre l’actualité des avancées scientifiques en pratique clinique mais également sur les nouvelles organisations.
Les plateformes de Coordination et d’Orientation (PCO) en charge de l’évaluation des enfants TND peuvent être des partenaires sur l’évaluation du jeune enfant. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peuvent également être le support de développement de projets en prévention, les URPS Kiné peuvent également s’engager dans les liens ville-hôpital et le développement de projets spécifiques pédiatriques.
Formations initiales, continues et réalité de terrain
Une des difficultés rencontrées par les étudiants est d’appréhender les pathologies pédiatriques sans avoir abordé préalablement le développement de l’enfant sain et ses particularités vis-àvis de l’adulte en relation thérapeutique. Une autre difficulté est le manque de places en stages de pédiatrie, ce qui limite l’observation et la pratique.
Dans ces conditions se sentent-ils aptes à prendre en charges des enfants dès la sortie des instituts de formation ? Ne favorise-t-on pas la perte de chance pour les enfants ? Ne met-on pas en difficultés les jeunes collègues au sein des équipes pluriprofessionnelles ?
Ce qui est certain, c’est que parallèlement à l’élargissement du champ d’intervention des kinésithérapeutes, la question de la formation initiale, depuis ses dernières réformes, pose question concernant la pédiatrie et l’harmonisation de son enseignement sur l’ensemble du territoire. Nous pourrions sur ce seul sujet y un consacrer un nouvel article.
Quant à la formation continue, en fonction des modalités et des lieux d’activité, l’investissement pour acquérir des compétences en pédiatrie est conséquent. Les professionnels cumulent un volume d’heures de formation très important régulièrement mis à jour tant les avancées dans ce domaine sont dynamiques. Il faut être vigilant dans le cadre des certifications d’établissements et des certifications professionnelles à ce que les professionnels formés et investis dans cette activité soient maintenus dans celle-ci.
La valorisation de l’investissement personnel et collectif en formation continue permettrait également de maintenir l’attractivité des professionnels les plus expérimentés pour le soutien des professionnels juniors.
L’ensemble de ces sujets complexes, ainsi que les dernières contraintes d’installation des professionnels liées à l’avenant 7, auront-ils un impact à moyen terme sur le développement de cette branche et le maintien de la qualité des soins en kinésithérapie pédiatrique ? C’est une des préoccupations majeures de l’AFKP.
Lancement d’une enquête autour des axes de travail des assises de la pédiatrie
Face à l’ensemble de ces questions, nous avons souhaité interroger les confrères et consœurs. Les résultats de l’enquête nous informent sur les pratiques actuelles et nous engagent à poursuivre ce travail collectif pour une promotion de nos pratiques spécifiques en pédiatrie dans l’intérêt de la qualité des soins prodigués aux enfants quels que soient nos lieux et modes d’activité.
Nous vous invitons à consulter cette synthèse accessible sur notre site pour y découvrir les avis et pratiques des 311 kinésithérapeutes qui ont souhaité y répondre.
Conclusion
La kinésithérapie exercée en pédiatrie hier n’est pas celle d’aujourd’hui, et sera différente de celle de demain. De notre capacité d’évolution et d’adaptation professionnelle dépendra le maintien, la reconnaissance et l’amélioration de cette pratique clinique.
Les lieux d’exercice pluriels des kinésithérapeutes permettent d’accompagner des enfants de manière précoce et continue sur toutes les périodes de l’enfance et l’adolescence. Qu’il existe un diagnostic étiologique ou pas, que l’évènements de santé soit aigu, transitoire ou chronique, les évaluations fonctionnelles réalisées par les kinésithérapeutes permettent d’agir tôt au bénéfice de l’enfant.
A l’instar des infirmières ou des médecins, dans les années 1950, n’est-il pas le moment pour notre profession de structurer et reconnaitre cette « spécialité » d’exercice pour assoir ses pratiques dans la recherche clinique ?
- Bertrand Doret, MKDE libéral, Président de l’AFKP,
- Marie Gaubert Noirot, MKDE libéral, Présidente de l’AKPMIP-Occitanie,
- Pascal Favand, MKDE salarié FPH, Président de l’association PICAPED,
- Katia Gimenez, MKDE salariée FPH, Secrétaire de l’AFKP
- Agnès Clement, MKDE salariée FPH, Trésorière de l’AFKP et de l’AKPBFC
- Didier Evenou, MKDE retraité FPH, Président du Réseau Bronchiolite IDF